Hommage

Mort de Philippe Tesson
Mon premier rédacteur-en-chef à l’inoubliable Combat

Mis à jour le 8 mars 2023 par Rédaction

22 Aug 1994, Paris, France — French Journalist and Radio and Television Chronicler Philippe Tesson
“J’aime beaucoup ce portrait de Philippe Tesson par Pascal Baril. Il travaille alors pour l’agence Kipa. Ce portrait est le portrait d’un regard. Un oeil scrutateur, l’autre amusé et bienvaillant sur la réalité. Un regard libre des autres.” MP
Photographie © Pascal Baril

Il est né le 1er mars 1928, vingt-ans et un jour avant moi, et il avait la quarantaine quand la vague des babyboomers de l’après-guerre allait quelques peu ébranler la morale du XIX ème siècle encore en vigueur sous Yvonne de Gaulle.

Pour les jeunes gens révoltés de la fin des années 60, Combat est non seulement le journal d’Albert Camus, le journal issu de la résistance au nazisme, mais l’un des soutiens au mouvement de mai 68. On lit Combat, Le Nouvel Observateur, Témoignage Chrétien, Les Temps Modernes et Hara Kiri… Mensuel !

Au printemps 1970, je quitte l’école de journalisme de Bordeaux pour intégrer la rédaction de Combat. Pierre Christin, scénariste de BD et directeur de l’IUT de Journalisme, m’a obtenu un stage, non rémunéré [1], dans ce pauvre mais prestigieux quotidien. Ma première entrevue avec Philippe Tesson se passe 2 rue du Croissant au cœur du quartier de la presse ; mais en 1970, journaliste-stagiaire, je travaille dans les nouveaux locaux du journal, dans le seizième arrondissement de Paris. C’est le début de l’éclatement des quartiers parisiens du Sentier et de la Bourse où se concentraient jadis les titres de presse.

De la rue du Croissant au 16ème arrondissement

 

Dans le calme 16ème arrondissement, les 14 et 16 rue Jouvenet, métro Excelmans, étaient occupés par un immeuble en construction ou en rénovation… Je ne saurai jamais. Ce dont je suis certain, c’est que l’accès aux bureaux se faisait par un escalier de chantier. Tout était, comme brut de décoffrage, mais l’opération ne datait pas d’hier… Cela avait le charme des constructions du Maghreb ; et, il y avait une certaine logique puisque le journal appartenait à Monsieur Smadja.

Henri Smadja avait fait installer les boiseries ornant les murs de la rue du Croissant, directement sur les parpaings, sans l’ombre d’un nuage de plâtre. De même, dans son bureau, où j’entrais une seule fois, un joli tapis trônait sur le sol de béton brut… Un souvenir de sa splendeur tunisienne. Henri Smadja avait ramené de Tunis, et installé dans un château, une vieille rotative, des linotypes et les ouvriers tunisiens qui allaient avec ! « ça sentait bon le couscous dans le parc » se souvient Philippe Tesson [2].

Je ne suis allé qu’une seule fois au château de Médan, un soir de bouclage pour les élections municipales de mars 1971. Le journal était composé avec des lignes de plomb enserrées dans une forme, un cadre en acier verrouillée. Nous étions là, au marbre comme on disait, quand un des ouvriers attrapa une forme, c’est-à-dire une page, qui n’était pas, ou mal, verrouillée… Toutes les lignes de plomb tombèrent et c’était une page de résultats ! Le ton monta immédiatement entre les ouvriers. Tesson, pris par le bras les deux ou trois journalistes que nous étions et nous sortîmes. « ça peut se terminer au couteau » conclut-il.

Reportage en autostop

Naïf, j’avais émis l’idée d’aller en reportage à Vittel, où les ouvriers de l’usine de mise en bouteille de la fameuse eau, étaient en grève. A ma demande d’argent pour les frais, Tesson m’avait dit d’aller voir Smadja… Il avait de l’humour Tesson. La réponse fut négative ; et je partis à Vittel en autostop et dormis chez un couple de grévistes, des « maos ».

A la rédaction de Combat à cette époque, j’ai le souvenir d’un tourbillon ou de fameux personnages virevoltaient. Henri Chapier avait de jolies chemises à fleurs. Maurice Clavel, sa sacoche en cuir de prof sous le bras, agitait des feuillets d’indignation… Le rez-de-chaussée du journal, je veux dire le bas de la première page offrait deux billets d’opinion, généralement très tranchées. Les royalistes côtoyaient les maoïstes ; et personne ne s’effrayait d’y lire Gabriel Matzneff.

Nous étions un petit noyau de jeunes gens parmi des rédacteurs un peu, ou plus âgés : Jean-Marie Borgeix, Claude Glayman, Dominique Jamet, Jean-Claude Kerbourc’h, Jean-Claude Vajou etc. Je me souviens bien de Philippe Aubert et de MOF, Marie-Odile Fargier, à la rubrique Education qui, alors, fait « Un stage payé, alors qu’Henri Smajda faisait tourner son quotidien avec des journalistes bénévoles ou semi-bénévoles [3]», précise-t-elle à Antoine Perraud de Mediapart en 2021.

J’aimais bien MOF, mais j’étais, comme beaucoup, un peu macho. Marie-Odile Fagier a bien raison de dire : « Il faut remercier chaleureusement l’extrême gauche machiste issue de Mai-68, qui a traité les filles partageant leurs opinions en serveuses de café et en dactylos. Vu ce qu’elles étaient et ce qu’elles avaient cru vivre avec eux, ça a déclenché le mouvement des femmes… [4]»

Je me liais d’amitié avec Maurice Achard. Nous étions tous les deux, et pas les seuls, des admirateurs des films de Jean-Luc Godard. Nous lisions Cournot dans le Nouvel Obs et dévorions tous les livres qui nous tombaient sous les yeux. Comme nous avons bien fait ! Cinquante ans plus tard, Maurice est un « septuagénaire à la canne blanche [5]» comme il l’écrit à la première ligne de son dernier ouvrage Mais 68… ; et, moi, un septuagénaire à la canne jaune [6] des déficients visuels !

Je passais quelques mois à remplacer à la rubrique Sociale Michel Schifres appelé sous les drapeaux. Le job consistait à éplucher le télex de l’AFP et décrypter les communiqués de presse des syndicats. Rien de passionnant, mais j’étais si heureux d’être là, dans cette rédaction. Le reportage sur la grève à Vittel allait être publié dans Combat et Témoignage Chrétien et m’ouvrira les portes de J’accuse tout en me mettant le pied à l’étrier du photojournalisme. Et puis, en deux parutions j’avais gagné l’équivalent de peut-être 100€[7] d’aujourd’hui. Une fortune !

Michel Puech

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Notes

[1] L’IUT de journalisme de Bordeaux n’est pas encore reconnu par la profession en 1970, contrairement au Centre de Formation des Journalistes (CFJ).

[2] Philippe Tesson, un journaliste de combats – Documentaire TV d’Ella Cerfontaine (2010)

[3] Antoine Perraud in Marie-Odile Fargier, journaliste, féministe et pionnière – Mediapart 4 juillet 2021 https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040721/marie-odile-fargier-journaliste-feministe-et-pionniere

[4] Antoine Perraud idem

[5] Maurice Achard in Mais 68… - Cent mille milliards Editeur 2018

[6] http :www.cannejaune.org

[7] A Combat et à Témoignage Chrétien, en 1971, les articles étaient payés sans bulletin de salaire 50 Francs quelque soit la longueur du texte, soit 56,51 € selon l’Insee.

Michel Puech