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Ça tangue toujours dans les agences de presse photo !

Festival Photoreporter St Brieuc
Photo (c) Geneviève Delalot

Après avoir créé à Cologne, il y a 34 ans, l’agence photographique Laif, les cinq actionnaires fondateurs ont vendu leur participation aux propriétaires d’une autre agence allemande, DDP basée à Hambourg. L’agence DDP est connue en France pour son implication dans la rocambolesque vente de la célèbre agence Sipa press à l’agence DAPD, une étoile filante qui devait détrôner l’AFP !

Alors que deux agences de presse françaises, Abaca et Starface, se débattent dans avec des admnistrateurs judiciaires, c’est par un courriel laconique, de Peter Bitzer de l’agence allemande Laif, que les partenaires commerciaux de cette agence, réputée pour la bonne qualité de son travail photo-journalistique, ont appris qu’a compter du 1er Juillet 2015, l’agence DDP Images (CA 5,7 M€) de Hambourg prenaient le contrôle de Laif (3,7 M€).

ulf-katharina
(c) DDP Images
Mitarbeiter Laif 2013
Peter Bitzer (c) Laif

Ulf Schmidt-Funke et Katharina Doerk, dirigeants de DDP Images ont en effet racheté les parts des cinq photographes fondateurs : Regina Bermes, Gernot Huber, Axel Krause, Manfred Linke et Peter Bitzer.

Une nouvelle qui intrigue et inquiète la quarantaine d’agences distribuée par Laif en Allemagne. Dans le communiqué de presse de DDP Images du jeudi 25 juin 2015, Manfred Linke, photographe et co-fondateur de Laif écrit «Nous sommes très heureux d’avoir trouvé des nouveaux partenaires. Ulf Schmidt-Funke et Katharina Doerk sont capables de libérer le potentiel de Laif dans un marché de plus en plus difficile ».

Quant à Peter Bitzer, appelé à poursuivre son action à la direction de Laif, il explique qu’ainsi les fondateurs préservent leurs acquis, et que l’agence sera en mesure « de se concentrer encore plus sur nos atouts pour continuer à offrir la même qualité de service. »

Dans une interview par courriel, ce lundi 29 juin 2015, Peter Bitzer précise : « à une exception près tous les anciens associés de Laif ont plus de 60 ans. Nous nous sommes sentis la responsabilité de nous trouver des successeurs. »

« Nous avons également abouti à la conclusion qu’en ce moment de difficulté économique, nous avons besoin d’une meilleure connaissance du marché actuel. Et, avec Ulf et Katharina (que je connais depuis plus de 20 ans) nous sommes sûrs. Et puis, nous avons la conviction que DDP Images peut nous fournir une aide du côté de l’infrastructure, qui nous permettra de nous concentrer encore plus sur le noyau dur de notre travail : faire le mieux possible pour soutenir nos photographes, en obtenant autant que possible l’autorisation d’exploiter leur travail dans tous les domaines des médias. »

L’agence Laif représente environ 400 photographes et collabore avec 42 autres agences de presse dans le monde dont les agences Réa, Vu, Gamma-Rapho en France, Contrasto en Italie, Redux Pictures et Polaris Images à New York etc. Laif représente également en Allemagne la production de The New York Times et du quotidien Le Figaro.

Pour comprendre l’importance de cette transaction pour les partenaires de Laif, il faut savoir qu’historiquement le marché allemand, avec ses nombreux magazines illustrés, est un des plus fructueux pour toutes les agences photographiques du monde.

Les allemands sont actuellement les seuls clients européens qui paient normalement leurs factures !
En France, il faut parfois six mois, voire plus, pour que les magazines les honorent. Un seul exemple : sous le prétexte du rachat de Libération et de L’Express par l’homme d’affaire franco-israélien Patrick Drahi, le règlement des factures de ces deux titres sont différés de plusieurs mois.

Le transfert de propriété d’une agence de photo est toujours une question délicate.

En effet, les photos de presse produites par une agence d’un pays donné sont revendues à l’étranger par d’autres agences. Cela signifie qu’une agence stocke non seulement les photographies de sa propre production, mais également celles des agences étrangères… En prenant le contrôle d’une agence, le nouveau propriétaire hérite également des stocks induits par ces partenariats.

Interrogé par courriel ce lundi, Ulf Schmidt-Funke assure qu’aucune photo distribué par Laif ne rentrera dans la base DDP. Mais seul l’avenir le dira véritablment.

 

« Laif est une agence fantastique ! »

Katharina Doerk et Ulf Schmidt-Funke, qui ont acheté pour une somme inconne – à titre personnel ? – les parts des co-fondateurs de Laif écrivent dans leur communiqué que « Laif est une agence fantastique ! »
« Nous connaissons Laif – en particulier Peter Bitzer – depuis les années 90. » répond ce lundi Ulf Schmidt-Funke à notre courriel d’interview. « Depuis près de 20 ans, nous travaillons ensemble sur une grande variété de projets. Nous avons toujours apprécié leur dévouement au photojournalisme, et leur engagement à construire des relations très proches et fiables avec leurs photographes et partenaires. Peter Bitzer dit souvent que c’est l’ADN de Laif. »

« Avec cet ADN, Laif a réussi à se construire une excellente réputation parmi les agences de photos dans le monde entier. Seules quelques agences ont été en mesure de faire face à la pression continue du marché, tout en gardant leur approche photojournalisme, Laif est clairement l’une d’entre elles. »

« Les fondateurs de Laif ont atteint un certain âge » poursuit Ulf Schmidt-Funke, ils ont évalué diverses options pour assurer la continuité de leur méthode de travail. Quand ils nous ont approchés, nous avons été flattés par la possibilité de développer une stratégie pour un avenir commun. »

« Le fait que notre ADN professionnel est tout à fait différent de celui de Laif a été largement débattu entre nous. Notre approche est façonnée par notre expérience dans la photographie de news et d’entertainement. Nous avons toujours voulu être les premiers à couvrir une histoire et envoyer notre photographe sur l’événement pour ensuite redistribuer ces photos aussi vite que possible à autant de clients que possible. »

« L’approche de Laif nécessite un engagement photojournalistique plus profond et sur une plus grande variété de niveaux. Voilà pourquoi il était crucial que Peter reste la tête et le cœur de Laif pour prendre soin de tous les besoins opérationnels. Katharina et moi n’allons pas interférer. Notre rôle est de fournir des ressources administratives et techniques supplémentaires. »

Pour conclure, Ulf Schmidt-Funke précise : « Les objectifs stratégiques que nous avons déterminés ensemble sont :
1 – Se concentrer sur les points forts éditoriaux de Laif,
2 – Evaluer et répondre aux demandes des clients, des photographes et des partenaires en matière de production et de services de grande qualité,
3 – Stabiliser les revenus de Laif avec ses clients,
4 – Attirer de nouveaux clients à l’extérieur du secteur de la presse et des médias,
5 – Développer de nouveaux concepts commerciaux pour générer des revenus supplémentaires basés sur l’expertise de Laif. »

« Même si nous sommes tout à fait conscients que le marché de la photo est de plus en plus concurrentiel, nous croyons fermement qu’il y aura un segment important pour la photographie haut de gamme et des services professionnels qui créent de la valeur ajoutée. »

« Il n’y a pas de plan pour des changements immédiats. Pour les prochains mois, Katharina et moi iront sporadiquement visiter Laif et parler avec tous les personnels et apprendre sur le workflow de l’agence et l’ADN de Laif. Pour nous, cela est absolument nécessaire avant que nous puissions entrer dans une planification plus détaillée en collaboration avec Peter. »

Dans le communiqué de presse, DDP Images précisait : « Avec cette étape, nous élargissons le portefeuille d’agences de notre groupe pour être en mesure d’offrir aux clients des nouveaux services à l’extérieur du secteur de l’édition classique ».

Et ce sont ces valuable services outside of the classic publishing segment qui légitimement inquiètent les partenaires de Laif. Derrière ce vocable typique de la corporate communication, ils peuvent craindre que leurs photographies ne soient plus vendues « à la pièce » ou « en exclusivité », mais soient disponibles dans des services par abonnement.

Depuis toujours, les agences de presse mondiales, comme AFP, AP, Reuters commercialisent leurs productions par abonnement. Le client paie chaque mois le même montant pour avoir accès à un ensemble d’informations.

Cette pratique était quasi absente du marché des agences photo « magazine », comme on les qualifiait au siècle dernier (Magnum, Gamma, Rapho, Sipa, Sygma etc.). Elles commercialisent les photos à la pièce, c’est-à-dire à la parution selon la taille de la reproduction et le tirage du support (journal, magazine, revue, éditeur etc.).

Depuis le début du XXIe siècle, cette pratique commerciale de l’abonnement a envahi tout le marché de la photographie de presse avec des formules où l’abonnement mensuel donne droit à l’utilisation d’un nombre déterminé d’images.

Les patrons des groupes de presse ont encouragé, puis petit à petit, imposé cette pratique.

Leur moyen de pression est sans réplique : « Si vous n’êtes pas d’accord, pour baisser le prix de votre abonnement et/ou augmenter le nombre de photos que nous pouvons publier, nous interdiront à toutes les rédactions de notre groupe de publier des photos de votre agence » disent en substance les « hommes en gris » des groupes de presse.

Ceux de Prisma Media, le 2ème éditeur français (VSD, Gala, Géo etc.) , comme ceux de Lagardère Active (Paris Match, Elle, JDD etc.) sont devenus des spécialistes de ce discours. Et, la semaine dernière encore, plusieurs patrons d’agences ont entendu le même genre de discours dans les bureaux de Mondadori France, filiale d’Arnoldo Mondadori Editore (Groupe Fininvest), troisième éditeur de magazines en France (Closer, Grazia, Biba et 25 autres titres).

L’agence Laif, géré par DDP Images, se lancera-t-elle dans ce type de politique commerciale ? La question est importante pour les photographes et les agences qu’elle représente en Allemagne.

La vente en masse pratiquée par les Corbis, Getty, Shutterstock, Fotolia et autres banques d’images low cost appauvrit inexorablement les photographes et les agences. Les ventes entre 0,10 et 1€ se multiplient sur les relevés de compte des photographes ! Et, à la fin, zéro plus zéro, ça ne fait pas grand-chose !

Mais qui est cette agence DDP Images ?

Katharina Doerk et Ulf Schmidt-Funke, les nouveaux propriétaires de l’agence Laif ne sont pas des inconnus dans le monde des agences photo. Particulièrement en France.

Ils sont arrivés à Paris à l’été 2011 dans les valises de Peter Loew et Martin Vorderwülbecke, deux hommes d’affaire allemands qui ont débarrassé le groupe pharmaceutique Fabre de la déficitaire agence Sipa press fondée en 1973 par le photojournaliste Göksin Sipahioglu (1926-2011).

C’est en 2004 que les duetistes allemands prennent le contrôle, via leur société d’investissement BluO basée au Luxembourg, de la Deutsche Depeschendienst (DDP), une agence fondée à Berlin en 1971 par huit anciens employés de la défunte agence américaine UPI.

Après la création en juin 2009 de la société DDP Images au capital de 25 000€ par Martin Vorderwülbecke, il embauche Katharina, fille d’Helmut Doerk, fondateur de l’agence photo Action Press et Ulf Schmidt-Funke. Ces deux-là au moins connaissent le métier !

Il leur confie DDP Images à Hambourg !

Martin Vorderwuelbecke (c) Chamussy /Sipa press
Martin Vorderwuelbecke (c) Chamussy /Sipa press

A l’époque, Peter Loew et Martin Vorderwülbecke ont les dents longues. Ils s’emparent également de AP-Germany la filiale allemande d’Associated Press qui traite pour le texte, non seulement le marché allemand, mais également autrichien et suisse. En septembre 2011, ils regroupent alors leurs actifs sous le nom de DAPD. C’est l’époque ou ils déclarent la guerre à l’AFP à laquelle ils vont intenter un procès devant la justice européenne.

Pressés par le Groupe Fabre, durant l’été 2011, Peter Loew et Martin Vorderwülbecke ont finalement – sur les conseils de Katharina et Ulf ? – pris le contrôle de l’agence Sipa press. Ulf devient président et Katharina, vice-présidente de Sipa Press.

Ils ne vont pas régner longtemps : un an.

Un temps suffisant pour que Katharina Doerk et Ulf Schmidt-Funke réussissent, le mercredi 11 avril 2012 – moins de six mois avant le dépôt de bilan de DAPD – une opération dont la finalité n’apparaissait à personne à l’époque : faire passer la société Sipa USA du statut de filiale à 100% de Sipa Press à filiale à 100% de DDP Images !

C’est 1 million d’euros de chiffre d’affaire qui passe d’une poche à l’autre ! Le prétexte ? Sipa USA serait endettée de 800 000 dollars auprès de photographes, et DDP Images plus apte à rétablir les comptes que Sipa Press

Curieux puisqu’à ce moment là, toutes ces sociétés étaient dans le même groupe : DAPD !

Ensuite, la foudre tombe d’abord à Berlin le 2 octobre 2012 : DAPD et huit de ses filiales sur vingt-six sont placées en règlement judiciaire à la suite des revers financiers de Peter Loew et de Martin Vorderwülbecke dans d’autres sociétés. Martin Vorderwülbecke s’évanouit dans la nature et Ulf Schmidt-Funke dit à qui veut l’entendre qu’il ne peut pas le joindre…

Le vendredi 9 novembre 2012, en début d’après-midi à Paris, l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires de l’agence Sipa Press enregistre la démission de son Président Ulf Schmidt-Funke et de sa Vice-présidente, Katharina Doerk.

Olivier Mégean, président de Sipa sur le stand de l'agence à Visa pour l'image 2012 (c) Geneviève Delalot
Olivier Mégean, dg de Sipa sur le stand de l’agence à Visa pour l’image 2012 (c) Geneviève Delalot

Par un jeu de dominos, le jeudi 22 novembre 2012, Olivier Mégean, alors directeur général de Sipa et, aujourd’hui Pdg de l’hebdomadaire Le Point, dépose les bilans des sociétés Sipa press, Sipa News et autres entités agglomérées par DAPD.

Le jeudi 18 octobre 2012, adieu Vorderwülbecke ! « A la demande des investisseurs » et pour éviter des « confusions », la holding DAPD change de nom. Martin Vorderwülbecke quitte le conseil d’admnistration. Elle devient HQTA et le suisse Caspar Schilgen prend les commandes. Il était auparavant directeur du développement et bras droit de Peter Löw qui reste le seul actionnaire en poste, malgré la cascade de dépôts de bilan.

Le jeudi 6 décembre 2012, par un jugement, le tribunal de commerce de Paris ouvre une procédure de redressement judiciaire pour Sipa press avec une période d’observation.

Dans la débâcle provoquée par la faillite du groupe DAPD, rebaptisé HOTA, Le conseil de surveillance présidé par Peter Low – toujours le même – décide le jeudi 13 décembre 2012 d’abandonner la participation HOTA (ex-DAPD) dans l’agence DDP images au profit de Katharina Doerk et Ulf Schmidt-Funke. Une belle opportunité !

Le communiqué de presse souligne que cette acquisition concerne une société qui réussit, « qui a triplé son chiffre d’affaires à 6 millions d’euros sur les 3 dernières années. » Un chiffre d’affaire auquel Sipa USA et Sipa press avec ses ventes en Allemagne, ne sont pas étrangers.

L’opération qui a consisté, pour Katharina Doerk et Ulf Schmidt-Funke, à « vendre » le 11 avril 2012 en tant que Président et vice-présidente du conseil d’administration de Sipa press, la filiale Sipa USA à eux-mêmes, en tant que dirigeants de DDP Images n’a soulevé aucune objection ni de la part d’Olivier Megean alors directeur général de Sipa press, ni de Maître Catherine Poli l’administratrice judiciaire nommée après le dépôt de bilan. Circulez ! Il n’y a rien à voir !

Pourtant, dans cette histoire, les repreneurs de l’agence Sipa press ont été lésés : la société Sipa USA est sortie du giron de Sipa Press. L’affaire pourrait être qualifiée uniquement de discourtoise, si en février 2013, Sipa USA (Groupe DDP Images) ne s’était pas présenté comme candidat à la reprise pour avoir accès au dossier du règlement judiciaire par l’intermédiaire de leur avocat Maître Hector Arroyo.

Et si, le mercredi 20 mars 2013, leur avocat américain n’avait pas déposé les marques SIPA, SIPA USA et SIPA PRESS à l’administration américaine, bloquant ainsi l’utilisation de son nom à l’agence française Sipa press !

Désagréable pour une agence dont le nom est extrait du patronyme de son fondateur Goksin Sipahiglu. Résultat : Sipa press ne peut pas diffuser sous son nom aux USA et Sipa USA ne peut faire de même en Europe.

« C’est ridicule » confie aujourd’hui Ulf Schmidt-Funke « J’espère arriver à une solution avec Mete Zihnioglu (ndlr : DG de Sipa press) à Perpignan. Il n’y a que les avocats qui soient contents ! »

Un recours de Sipa Press contre les dépôts des marques suit son cours à New York… C’est long, coûteux et, un peu ridicule face a la révolution numérique qui transforme l’économie de ce secteur.

Affaire à suivre.

Michel Puech

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Dernière révision le 26 mars 2024 à 5;32 par Rédaction d’a-l-oeil.info