Exposition

Sergey Ponomarev
un photojournaliste russe à Paris

People with soviet flags and a portrait of Josef Stalin attend the May demonstration in Donetsk, Ukraine, Thursday May 1, 2014. (Photo Sergey Ponomarev for The New York Times)
People with soviet flags and a portrait of Josef Stalin attend the May demonstration in Donetsk, Ukraine, Thursday May 1, 2014. (Photo ©Sergey Ponomarev for The New York Times)

« Effondrement », tel est le titre de l’exposition que cet espoir du photojournalisme russe présente jusqu’au 9 juin 2015 à la galerie parisienne Iconoclastes. A 34 ans, Sergey Ponomarev est une star du New York Times pour lequel il a couvert notamment le conflit en Ukraine. A voir absolument.

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Paris le 7 avril 2015, Sergey Ponomarev à la galerie Iconoclaste ©Geneviève Delalot

Ecoutez l’itw de Sergey sur WGR

Il est jeune, mais il a déjà le regard des photographes « qui vont sur le terrain », expression pudique pour dire la guerre. Un regard perdu dans un lointain d’horreurs déjà trop vues. Sergey Ponomarev est là, et bien là pour répondre à nos questions, mais que voit ce regard qui nous transperce…

Son regard est sur les murs de la galerie et porte un nom : « Effondrement » ! Il s’agit de son travail en Afghanistan, en Palestine, en Syrie et en Ukraine. De Gaza, il a ramené cette année un World Press Photo occulté par de regretables mais inévitables polémiques. Dommage, car l’image est très forte.

Comme est violent le contraste entre les photographies exposées et le quartier dans lequel elles sont présentées. La galerie Iconoclastes porte fièrement son nom entre la place Vendôme, l’Opéra de Paris et la Comédie Française !

©in Damascus, Syria, Sunday June 15, 2014. (Photo ©Sergey Ponomarev for The New York Times)
in Damascus, Syria, Sunday June 15, 2014. (Photo Sergey Ponomarev for The New York Times)

« Comment reconnaître dans la photographie de guerre une oeuvre d’art ? » s’interroge Thierry Grillet, directeur de l’action culturelle de la BNF dans le catalogue de l’exposition.

« Cette reconnaissance est récente. C’est seulement dans les vingt dernières années qu’elle a conquis le nouveau territoire de la galerie. Elle a gagné ainsi de la surface au mur, mais en a perdu sur le papier. L’effondrement du news magazine explique en partie cet exil d’un univers l’autre. Cette migration d’une économie du multiple vers celle de l’unique transforme en profondeur l’écosystème du photoreportage. D’abord en sacralisant les photographes devenus artistes et dont le travail est assimilé à une oeuvre. Ensuite en détournant le regard du consommateur qui ne cherche plus l’information, mais la nourriture d’une délectation esthétique. »

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Galerie Iconoclastes ©Geneviève Delalot

« Les gens ont besoin d’aller dans les galeries pour voir des photos qu’ils ne voient peut-être plus assez dans les magazines » constate Alain Mingam, le commissaire de cette exposition. « J’ai essayé d’éviter les images les plus violentes, mais j’ai pu constater que les gens sont très émus en voyant par exemple la photo des femmes qui pleurent à Gaza, très émus par le déjeuner sur l’herbe en Afghanistan… »

Dans son introduction au catalogue de l’exposition, Alain Mingam écrit : « Les deux frères qui se soutiennent à Gaza , ensanglantés et totalement effondrés par la mort de leur père, lors d’un bombardement israélien, sont au centre d’une composition d’une totale sobriété , qui n’exprime que plus encore le désespoir et le chagrin qui les tenaillent enlacés l’un à l’autre . »

« Une posture éthique de Sergey Ponomarev qui lui interdit tout excès dans l’esthétisation d’une compassion qui se suffit à elle-même. Le photographe n’est pas adepte de l’effet de mode qui sévit dans la profession, pour habiller tout cliché issu du champ documentaire d’un vernis artistique, clé d’entrée dans le SAMU muséal d’un photojournalisme malade de ses excès. » Et, à cet égard, le choix du commissaire de ne pas encadrer les photos avec des chichis, mais de simples boites américaines, aux cadres légers respecte la valeur informative essentielle du travail du photographe.

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De gauche à droite: Sergey Ponomarev, Alain Mingam, Linda N’Guyen ©Geneviève Delalot

« Je vis avec la guerre et la paix. » dit simplement le photographe. « Ici, ce qui m’intéresse c’est de voir la réaction de parisiens qui vont venir avec leurs emplettes de luxe et se retrouver les yeux dans les yeux avec ces photographies là». Une interrogation que partage nombre de photojournalistes, particulièrement les correspondants de guerre, qui ont conscience de vivre dans un « autre monde », et qui souvent se sentent mal, voire incompris, par leurs compatriotes, par « les civils », par ceux qui vivent toute l’année en paix, alors qu’eux se confrontent souvent de longues semaines à la guerre.

 

Une jeunesse moscovite

Sergey Ponomarev
Sergey Pononarev aux Philippines Photo Ilyas Farkhutdinov.

« Je suis né à Moscou en 1980, où j’ai passé mon enfance et ma jeunesse à l’exception de quelques années en Irlande parce que mon père y a travaillé. J’ai rencontré la photographie quand j’étais au lycée. Nous nous intéressions à la photographie en amateur, pour faire des photos de famille, mais j’ai rapidement identifié que c’était la photo de presse qui me passionnait. C’est comme ça que j’ai compris que je voulais être photojournaliste. » raconte Sergey Ponomarev alors que nous sommes confortablement installés dans les fauteuils de la galerie Iconoclastes. Madeleine Leroyer, une journaliste freelance, amie du photographe – elle l’a connu à Moscou où elle a travaillé plusieurs années – traduit les questions et les réponses.

Première expérience de presse ?

« Ma première collaboration, c’est le journal de mon lycée. Un journal fait par des adolescents indépendamment des adultes. Nous y tenions, c’était notre devise. J’ai fait cela jusqu’à l’université. Nous faisions tout, tout seuls, le contenu, la maquette, la mise en page, les photos…

Votre arrivée à Associated Press ?

« C’est beaucoup plus tard ! Après mes études de journalisme à l’université de Moscou, je travaillais pour l’un des principaux quotidiens russes Kommersant. Parfois il arrivait que mes photos soient reprises par Associated Press en pige. C’est comme cela qu’ils m’ont repéré et, au moment où une place s’est libérée, j’ai été invité à rejoindre le staff. »

Première expérience de guerre ?

Gaza

« La guerre… » Il marque un long moment de silence. « Quand je faisais mes études, c’était l’époque de la guerre en Tchétchénie. C’était la grande question pour ma génération ! Le fait de faire des études nous dispensait du service militaire obligatoire. Mais, il y avait aussi cette envie d’aller voir, d’aller travailler là-bas. J’ai essayé, mais à l’époque mes parents ont mis leur veto. Ils ne m’ont pas laissé partir. »

« Finalement ma première expérience de guerre c’est à Beslan en 2004. Je me trouvais à Sotchi. Dès que j’ai entendu la nouvelle de la prise d’otages des enfants, j’ai sauté dans une voiture. J’ai conduit pendant dix heures et, finalement, je me suis trouvé l’un des tout premiers à arriver dans cette école où la prise d’otages a fini dans un bain de sang. »

« Après Beslan, j’ai couvert en 2006 la guerre entre Israël et le Liban et à partir de là, je n’ai pas tellement arrêté. Il y a eu les printemps arabes avec leurs fruits vénéneux. Et puis la guerre s’est rapprochée de moi : elle s’est installée en Ukraine. »

« Je n’ai jamais couru après la guerre. Je n’ai jamais insisté pour y aller. Mais, quand on m’a demandé si j’étais prêt… J’ai toujours dit oui. Parce que pour moi, la guerre c’est le moment où il faut non seulement rapporter des photos mais aussi soi-même. » Bien que très jeune, Sergey Ponomarev a deux enfants.

« Je ne suis pas fasciné par la guerre, simplement la guerre rend les choses claires : il y a le noir, il y a le blanc. Ceux qui assurent votre sécurité et leurs ennemis. Il n’y a que deux camps. Quand on rentre, on retrouve les nuances de gris. J’ai compris qu’il y avait deux mondes : le nôtre, celui de la paix, et celui de la guerre. »

Après AP, vous êtes devenu freelance…

20150407_Sergey-Ponomarev-Paris-0045« J’ai quitté Associated Press en 2012 et j’ai commencé à construire ma carrière comme journaliste freelance. Je fonctionne à la commande, mais il arrive que je parte de moi-même et que je propose ensuite mes photos »

« Pour la Syrie, j’ai négocié tout seul mon visa. Je suis parti et arrivé sur place j’ai envoyé un pdf à quelques rédactions. Paris Match a été intéressé et m’a demandé de travailler sur la bourgeoisie de Damas. Et c’est à ce moment qu’est intervenu le bombardement chimique et Paris Match m’a demandé des photos. »

Et près de chez vous, en Ukraine…

« J’ai couvert les manifestations de civils qui sortent dans la rue pour protester place Maïdan, puis s’est construit le camp de tentes qui a renversé le pouvoir. Je n’ai fait que suivre le déroulé terrible des évènements de Kiev en Crimée puis au Donbass.

« J’ai pu travailler des deux côtés. Au début ça ne posait aucune difficulté. Mais maintenant, j’ai une accréditation officielle de la part des services de sécurité ukrainiens. C’est excessivement rare qu’un russe obtienne cette accréditation mais ça prouve que je fais du journalisme et pas de la propagande. C’est comme ça que j’ai accès aux forces ukrainiennes. De l’autre côté, c’est certain que mon passeport russe m’ouvre toutes les portes. Tout mon travail sur l’Ukraine a été fait pour le New York Times »

Quels sont les photojournalistes qui vous inspirent ?

« J’aime beaucoup les classiques. Le premier nom qui me vient c’est Steve McCurry. Il y a cette phrase où il dit qu’il peut passer des heures à attendre la photographie. Ça me parle beaucoup cette façon de voir la photographie. »

« Il y a aussi James Nachtwey qui a consacré sa vie à documenter les souffrances humaines. Il y a Sebastiao Salgado dont l’histoire de sa vie me frappe. Lui qui a connu la guerre et les massacres a été très marqué au point de chercher une autre voie. Ces photographes m’inspirent. Nous nous regardons les uns les autres. J’apprends en regardant leurs images. Et puis, j’essaye de réagir face aux photographies des autres, j’essaie de faire le mieux possible mon travail. »

 

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Michel Puech

Avec Madeleine Leroyer pour la traduction et Geneviève Delalot pour les photos.

MAJ 10/0415 14h00: Correction de la date de naissance et de l’age du photographe.

 

  • Voir le portfolio que Mediapart lui a consacré ICI
  •  Vous pouvez retrouver l’interview de Sergey Ponomrev sur WGR, la radio des grands reporters

 

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Affiche expoPratique
Exposition « EFFONDREMENT » de Sergey Ponomarev à la Galerie Iconoclastes
Le commissaire d’exposition: Alain Mingam, journaliste, photographe et consultant médias français / David Furst, éditeur international photo du NY TIMES, Thierry Grillet, directeur de l’action culturelle de la BNF & Jérôme Huffer, rédacteur en chef photo chez PARIS MATCH.
Du 9 avril au 9 juin 2015, du lundi au dimanche de 11h à 20h. Entrée libre
20 rue Danielle Casanova – 75002 PARIS

Site personnel du photographe : http://www.sergeyponomarev.com

Prix et récompenses :
2015 – World Press Photo, category « General News », third prize (Gaza)
2015 – Picture of the Year, category « human conflict », award of excellence (Gaza)
2014 – Picture of the Year, category « photographer of the year », award of excellence (Syria)
2014 – Sélection pour le prix Terry O’Neill (Operation Gaza, Broken Hopes, Broken Dreams)
2014 – National Geographic Photo Contest, category « places », honorable mention (Destroyed Homs)
2014 – Society of Publishers in Asia, award of excellence (Typhon Haiyan, Philippines)Dernière révision le 26 mars 2024 à 5;31 par la rédaction