Festival

FIGRA
La Tchétchénie de Manon Loizeau, le grand prix

Photo Geneviève Delalot

TELEVISION – La 22ème édition du Festival international du grand reportage d’actualité et du documentaire de société (FIGRA) s’est achevée le dimanche 29 mars 2015 par la consécration de réalisateurs expérimentés. Mais un festival ce sont aussi des débats. Ils furent houleux. Compte-rendu.


« La programmation du FIGRA reflète le monde tel qu’il va » explique Georges Marque-Bouaret, l’infatigable délégué général de cette manifestation qui se déroule tous les ans dans le Palais des congrès du Touquet-Paris Plage.

Avec « Tchétchénie, une guerre sans traces », un documentaire diffusé le 3 mars 2015 sur Arte, Manon Loizeau a reçu un grand prix mérité et prévisible vu la qualité du travail. La réalisatrice est une experte de la Tchétchénie. Elle a couvert les périodes de guerre. Elle parle couramment russe et a vécu en Russie. Son film est un constat implacable de « la pacification et du nettoyage » du nouveau régime instauré par Poutine. Mais au delà du reportage, « Tchétchénie, une guerre sans traces » est un remarquable film où les images de Thibault Delavigne, Laurent Stoop et de Xavier Luizet sont magnifiquement mises en écran par Bruno Joucla et Mathieu Goasguen pour Magneto Presse, la société de production.

Autre grand vainqueur, et autre grand routier du documentaire, Paul Moreira de Premières Lignes. Il remporte deux prix, celui de l’investigation (une habitude !) et, à sa grande surprise, celui décerné par les lycéens. Il se faisait une autre idée du rapport des jeunes « à la bouffe ».

Avec « Bientôt dans vos assiettes ! (de gré ou de force…) », il a réalisé une enquête sur les OGM, les pesticides et autres moyens d’augmenter les profits de l’industrie agro-alimentaire. Un film qui fait froid dans le dos et vous coupe l’appétit.

A noter également « Voyages en barbarie » de Cécile Allegra et Delphine Deloget qui à obtenu le prix de Reporters sans frontières (RSF) : un documentaire accablant sur la migration à travers le Sinai de 50 000 Erythréens dont 10 000 n’en sont jamais revenus.

L’information dans le viseur

Découvrir un festival est toujours une aventure. Chaque manifestation a son gourou, sa personnalité, son directeur, ses habitués. Ici, ce sont essentiellement des réalisateurs et des producteurs audiovisuels qui tournent pour France Télévision, Canal plus, LCP ou Arte. Bien qu’international, le festival reste assez hexagonal côté production. Par contre les reportages et les documentaires brassent l’actualité de nombreux pays du globe.

Quelque peu désarçonné par les 75 films en compétition pour une dizaine de prix, j’hésitais entre « Syrie les enfants de la guerre » de Yuri Maldavsky (Prix du public) et « Normandie-Niemen, les pilotes français dans l’armée rouge » qui concourait dans la catégorie Histoire… Je ratais ensuite « Edward Snowden, ennemi public », mais heureusement la médiathèque du festival permet de voir ou revoir tous les films. Un bon point.

Le lendemain, je ne manquais pas « Du fer à la finance, l’empire de Wendel » de Patrick Benquet produit par Phares et Balises. Cette enquête bien documentée est accablante pour la famille de Wendel. Patrick Benquet qui connait très bien son sujet, a réussi à interviewer des membres de la famille dont le célèbre ancien patron du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière de Laborde. On y voit plein écran, une morgue, un mépris pour les hommes et un amour effréné de l’argent conduire une des « cent familles » d’avant-guerre, d’une activité industrielle à la lucrative démolition des usines de ce pays. En diffusion actuellement sur les chaînes régionales de France 3.

Mais dans les festivals, il n’y a pas que les projections qui soient passionnantes. La 22ème édition a fait une belle place au photojournalisme avec l’exposition « On est ensemble », l’hommage à Camille Lepage, photojournaliste, assassinée en République centrafricaine, en mai 2014. L’exposition parrainée par Reporters Sans Frontières (RSF) en partenariat avec son agence Hans Lucas, l’association Passeurs d’images et la Ville d’Angers où elle a grandi, est impressionnante.

La jeune photographe – elle avait 26 ans – montre sa grande maturité. Maîtrise du cadrage, rigueur de la couverture des évènements. On est face au travail d’une grande professionnelle, et cela rend sa mort d’autant plus injuste.

Après avoir sillonné l’Europe au début de sa carrière, elle avait couvert la révolution égyptienne en 2011 avant de s’envoler vers l’Afrique où elle a capté les premiers pas du nouveau Soudan du Sud en 2012 et rappelé l’horreur des conflits des Monts Nuba au Soudan. Passionnée par ce qu’elle appelait les « causes oubliées », elle était partie en Centrafrique avant même les débuts de l’opération Sangaris, pour témoigner du quotidien des populations victimes de cette guerre fratricide. Là, selon ses confrères, elle s’est illustrée par son courage, allant toujours au devant de l’action, au contact des ex-Seleka dans les quartiers de Bangui ou couvrant les opérations de désarmement.

La Fondation Manuel Rivera Ortiz lui a décerné le prix d’excellence de la photographie, lors des Rencontres photographiques à Arles le 11 juillet 2014, et la Bourse du Talent lui a également attribué le prix spécial pour son Reportage « On est ensemble », réalisé en Centrafrique. Elle a également reçu le deuxième prix, dans la catégorie « Portrait » en février 2014, pour la série « Vanishing Youth » (Sud Soudan), décerné par Pictures of the Year International (POY).

Un festival, c’est aussi des débats

Il y en eut deux assez musclés durant cette 22ème édition. Le premier, jeudi 26 mars, autour de Christophe Deloire de Reporters Sans Frontières, de Valentine Bourrat, journaliste-reporter d’images, d’Anne Gintzburger, journaliste et productrice à Chasseur d’étoiles et de Luc Hermann, journaliste producteur associé à Premières Lignes. On entendit les habituelles dénonciations des pays et des groupes qui malmènent la liberté d’expression et celle des journalistes en particulier.

 

 

Rappeler à l’auditoire les exactions de l’Etat islamique ou de l’Arabie Saoudite où l’on fouette les blogueurs est évidemment utile et même indispensable. L’ennui, c’est qu’aux questions de la salle mettant en cause le travail des journalistes, les intervenants n’ont trop souvent qu’un réflexe corporatiste et, apportent des réponses approximatives.

Un exemple, suite au cri d’indignation de Pascale Clark qui s’est vu refuser le renouvellement de sa carte de presse, le public s’interroge. Mais la salle, peu peuplée en raison d’un match de foot, n’eut pour réponses que des approximations qui démontrèrent que Pascale Clark n’est pas la seule à ignorer les règles d’attribution de ladite carte professionnelle. « Il faut prouver qu’on est journaliste pendant un an, pour l’obtenir » dit en substance Annette Gerlach, journaliste-présentatrice d’ARTE, alors que seuls trois mois de revenus provenant pour 51% de la presse sont exigés !

Mais c’est le samedi 28 mars au grand débat organisé par la Scam, représentée par Lise Blanchet, que le ton allait sérieusement monter. Le thème ? « Nous avons choisi de ne pas diffuser ces images » était animé par Patrick Boitet, rédacteur en chef du magazine Un Oeil sur la planète sur France 2 avec sur le plateau Lucas Menget, rédacteur en chef de iTELE, Agnès Vahramian, rédactrice en chef du 20h de France 2, Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog, John-Paul Lepers, journaliste et réalisateur, et Rachid Arhab, ancien membre du CSA et auteur de « Pourquoi on ne vous voit plus ? » chez Michel Lafon.

Comme aux Assises du Journalisme le mois dernier, on entendit d’abord les gens de télévision expliquer combien ils travaillaient sérieusement. C’est curieux ce besoin de sans cesse se justifier, sans remettre en cause l’essentiel, c’est-à-dire ce qu’on nomme aujourd’hui par le terme anglo-saxon de « breaking news ». Patrick Boitet eut même une répartie pour le moins surprenante: face à une critique du public, il asséna un « vous pouvez changer de chaîne » qui souleva l’indignation.

En question l’information en continu, spécialité de BFM et d’iTélé, pratique que les grandes chaînes traditionnelles ont également adoptée lors des attentats de janvier 2015 en France et qui a entraîné des avertissements du CSA.

« Avant que le CSA ne nous tape sur les doigts comme si nous étions des enfants, nous avions entrepris de réécouter l’ensemble de la chaîne » déclare Lucas Menget d’iTELE. Mais la salle accepte mal les explications de Lucas Menget curieusement épaulé par Agnès Vahramian, rédactrice en chef du 20h de France 2. Le public, pourtant majoritairement constitué de professionnels de la télévision, gronde.

On fait reproche « aux chaînes d’info en continu » de meubler l’antenne avec rien, d’accroître l’anxiété des téléspectateurs et de diffuser des images qui ne sont pas indispensables à l’information. Des reproches lus et entendus partout ces derniers temps. Lucas Menget, visiblement énervé par ces attaques successives explose : « Contrairement à ce que vous pensez, on ne diffuse pas en direct ! » assène-t-il à la stupéfaction de l’auditoire. « La seule chose que j’ai diffusée en direct c’est la conférence de presse d’Hollande. » précise-t-il « Contrairement a ce que tout le monde dit, nous ne diffusons pas en direct. Il y a un fantasme des chaines d’infos. Nous recevons les images en direct, mais nous les diffusons en différé. »

« Chaque fois que j’ouvre la bouche je me trouve en face du corporatisme. On ne peut pas discuter avec les journalistes ! » s’énerve Rachid Arhab. «Quand on fait un reproche aux gens de la télévision, ce n’est jamais eux, c’est toujours la faute de la chaîne d’à côté. Quand j’étais au CSA, je n’ai jamais utilisé le manquement à l’honnêteté, car je fais confiance à mes confrères. La problématique principale c’est le direct, l’édition spéciale, et ma proposition c’est de couper l’antenne pour annoncer ce qui se passe ailleurs dans le monde. Ça vous donnera le temps de réfléchir» conclut-il après avoir indisposé la moitié des intervenants.

Quel que soit le statut professionnel – producteur, réalisateur ou journaliste – des femmes et des hommes qui travaillent à notre information, leurs pratiques sont aujourd’hui très fortement contestées non seulement par le public, mais également au sein de chaque corporation. Un véritable débat agite aujourd’hui le monde de l’info. On peut espérer que cette contestation débouche sur de nouvelles règles, mais pour le moment, on assiste plutôt à des clivages internes. Le ton risque encore de monter entre professionnels.

 

 Dernière révision le 26 mars 2024 à 4;35 par la rédaction