Hommage

Je me souviendrai d’Olivier Voisin et de Luis Choy

image003
Olivier Voisin en Syrie Photo d’Edouard Elias
Vous vous souvenez ? Vendredi dernier, le 22 février 2013, à l’initiative de la nouvelle association « A Day Without News », la profession rendait hommage à Marie Colvin et à Rémi Ochlik tués il y a un an à Homs. Ce même 22 février, à l’hopital de Bab Al-Hawa en Syrie, Chris Huby, documentariste est appelé par un secouriste : « Il y a un photographe français blessé ! »
Chris Huby et Edouard Elias n’ont pas de peine à identifier leur copain Olivier Voisin avec qui ils sont entrés clandestinement en Syrie il y a quinze jours. « Nous avons appelé RSF et 20 minutes après Olivier partait pour Reyhanli en Turquie. »« Il avait perdu connaissance. Il avait un bras en charpie, mais surtout une sale blessure à l’arrière du crâne. Un éclat d’obus » raconte , samedi soir, le photographe Edouard Elias qui vient d’atterrir à Paris, croyant y retrouver Olivier Voisin évacué… « Nous nous sommes séparés d’Olivier quinze jours auparavant. Nous n’avions pas beaucoup de nouvelles les uns des autres. On ne peut pas être précis au téléphone ou sur le Net. Mais ça allait … Mais les bombardements sont incessants et on ne sait jamais où ça tombe. »
Samedi,  Reporters Sans Frontières (RSF) nous apprenait qu’Olivier Voisin n’était pas transportable et, dimanche, qu’il était mort des suites de ses blessures.Olivier Voisin, n’était pas très connu dans la profession, bien qu’il soit reporter depuis quinze ans. Il a collaboré à des journaux et magazines. Alfred de Montesquiou de Paris Match se souvient de lui, car ils ont fait un reportage ensemble en janvier en Syrie pour Match.« C’était un stringer » dit Patrick Baz de l’AFP au Proche Orient. Il avait travaillé deux jours pour nous en Syrie en janvier, mais ensuite il avait un autre client. Il m’a présenté Edouard Elias pour lui succéder. L’agence lui a notamment diffusé une photo d’un tir de missile. »Combien y a-t-il de jeunes gens, ou de moins jeunes – Olivier Voisin avait 39 ans – à la frontière, prêts à prendre tous les risques à  l’intérieur de la Syrie ? «  Je ne peux pas les compter… » dit pensivement Patrick Baz qui pourtant à Chypre est bien placé pour contrôler la région.

 

« La guerre ou le chômage » ?

« Je suis catastrophé, très très triste d’apprendre cette nouvelle. » confie Jean-François Leroy directeur de Visa pour l’image, qui a plusieurs fois mis en garde la jeune génération face aux risques des conflits.

« Les photoreporters n’auraient-ils comme seule équation possible que la guerre ou le chômage. Déjà des dizaines de photojournalistes ont été contraints de quitter le métier, d’autres sont sur le point de le faire. Non, ils ne manquent pas de talent, comme le disent certains, ils manquent d’écho » s’indigne Alain Frilet, responsable de « Paroles de photographes » qui accuse les éditeurs de presse.

Vendredi 22 février, ici même, pour le lancement de la campagne « A Day Without News » j’écrivais : « Est-ce que cela valait vraiment le coup ? L’information était-elle à ce prix ? Tout jeune journaliste ne peut que se poser ces questions. Et chacun y répond comme il peut. Avec raison ou avec passion. Et ni l’une, ni l’autre, ne sont condamnables, c’est pourquoi tous les discours enjoignant les jeunes photographes à ne pas aller sur les fronts, me paraissent ridicules. Au nom de quoi interdire à de jeunes freelance d’aller en Syrie ou ailleurs ? C’est un faux débat. Dans le monde, l’information de proximité fait plus de morts que les correspondances de guerre ! »

Et hélas, toujours ce vendredi 22 février, un jour noir pour le photojournalisme, la presse péruvienne allait dans mon sens en annonçant que Luis Choy, 40 ans, père d’une fillette, photographe au quotidien péruvien El Comercio avait  été abattu de plusieurs balles devant chez lui, alors qu’il s’apprêtait à démarrer sa voiture.

La dure réalité est que les guerres sociales font autant, si ce n’est plus, de morts dans la profession que les « frontlines », comme en Syrie.

La dure réalité, c’est également que les familles des reporters tués voient rarement les crimes jugés et condamnés. C’est à cette lourde tâche que « A Day Without News » semble vouloir s’atteler. Tout notre soutien !

Un autre besoin urgent, est de remettre de l’ordre dans le marché des images de news. L’hégémonique domination du marché par l’AFP, Reuters, AP et Getty a laminé les petites agences qui encadraient et formaient jadis les jeunes photographes avant de les lancer dans le grand bain.

Par contre, ils sont aujourd’hui  légion aux portes des rédactions, et prêts à tout pour être publiés et reconnus. Il y a des responsabilités à regarder en face.

A Saigon, pendant la guerre du Vietnam, il y avait bien sûr déjà des stringers, mais leur nombre était limité, comme leurs possibilités.

Aujourd’hui, à l’heure des avions low cost et de l’Internet, il y a foule pour donner à manger aux monstres médiatiques en échange de piges low cost mais qui peuvent tuer.

 

Dernière révision le 10 avril 2024 à 3;54 par la rédaction