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Massimo Berruti : « complot » sans « Visa »

Patrick Codomier et Massimo Berutti de l'agence VU à Visa pour l'image 2009 ©Geneviève Delalot

« Coup double pour l’agence VU’ à Visa pour l’image » titrait, le jeudi 2 juillet 2009, Le Monde de la Photo, pour annoncer que le prix 2009 du jeune photojournaliste serait décerné par la Ville de Perpignan à Massimo Berruti. En 2008 ce fut Munem Wasif. Tous deux sont de jeunes recrues de l’agence VU’, fondée par Christian Caujolle et dont le département média est dirigé par Patrick Codomier. L’agence et la galerie sont gérées par Xavier Soule, PDG d’Abvent. Deux mois plus tard Le Monde lance « La théorie du complot s’invite à Visa pour l’image ». Petite explication.


Le Monde de la Photo était bien informé, et relevait une information tout à fait intéressante pour le monde de l’image : le prix du jeune reporter de la Ville de Perpignan allait être décerné pour la seconde fois à la même agence photographique, « on stage » au Campo Santo, lors d’une de ces fameuses soirées de projections, par Jean-Paul Alduy, sénateur maire de la ville, fraichement réélu à la suite d’une première invalidation des élections municipales. Une histoire de chaussettes et d’aisselles curieusement fournies, m’a-t-on dit au café du commerce.

 

(c) Geneviève Delalot
(c) Geneviève Delalot

A ce stade, d’un point de vue photographique, la question qui se pose est pourquoi récompenser deux jeunes adeptes du noir et blanc numérique ? Comme vous pouvez le voir en consultant les deux portfolios MediaVU’, celui de Munem Wasif, prix 2008, et Massimo Berruti, prix 2009, il y a comme une parenté dans le rendu numérique de la réalité. Une parenté esthétique.

En tout cas, même en ayant lu le texte qui présentait l’exposition, c’est la seule question que je me posais et que je me pose toujours.

Mise en place du décor et exposé des faits

Quand j’arrive à Perpignan, le samedi 29 avril, je vais d’abord voir l’exposition de François Le Diascorn au Castillet. Exposition dont je vous reparlerai. Le lendemain, après avoir été bouleversé par l’exposition d’Eugene Richards, je découvre dans ce « Couvent des Minimes », rue François Rabelais à Perpignan (France), Massimo Beruti exposé aux côtés des travaux d’Alexandra Avakian (Contact Press), de Sarah Caron (Polaris), de Françoise Demulder, de Viktor Drachev (AFP), de Brenda Ann Kenneally, lauréate 2008 du Prix Canon de la Femme photojournaliste, de Brennan Linsley (Associated Press), de Ulla Lohmann, de Pascal Maitre (Cosmos), de Steve McCurry, de Jérôme Sessini (Œil Public), de Boris Svartzman et n’oublions pas, l’exposition des lauréats du World Press.

Ce qui, avouons le, est une honorable compagnie pour un jeune romain de 29 ans au
pedigree de débutant, encore modeste, mais ambitieux. (Bio)

Le D-Day de Massimo

Vosa pour l'image 2009

Vendredi 4 septembre, il va faire chaud à Perpignan, même dans cette salle du Palais des Congrès, glaciale depuis le début de la semaine. Après une présentation de « War is personal » en présence d’Eugene Richards, Jean-Paul Alduy, sénateur maire de la ville intervient pour la remise du Prix du jeune reporter de la Ville de Perpignan à Massimo. C’est la première fois que Massimo Berruti est face à une salle. Qui plus est, une salle plutôt professionnelle et amateurs avertis. Une salle où il y a des journalistes.

Les questions ne portent pas sur les photographies de Massimo Berruti. Le public qui prend la parole l’interroge sur son sujet : la révolte des avocats pakistanais et sur la politique pakistanaise. Massimo Berruti répond en substance qu’il n’est pas un journaliste politique, que son sujet ce sont les gens et les mouvements. La politique politicienne au Pakistan est aussi compliquée que l’italienne, et il n’en sait pas plus que n’importe quel lecteur de presse. Il s’exprime en italien et en anglais, et est traduit.

Il est ému et ne s’attendait pas à ces questions. Il me le confie après la conférence en allant déjeuner. Nous « baragouinons » tous les deux dans un sabir anglo-saxon mâtiné d’italo-français. Mais on se comprend, sur des concepts simples. Mais je remarque qu’il reprend mes mots, comme je reprends les siens. Nous manquons de vocabulaire.

Je fais simple dans mon questionnement : La politique ?  « C’est compliqué. »

On parle donc d’autres choses, c’est-à-dire de technique de prise de vue et de post-édition des fichiers numériques. Travail de l’image sous Photoshop. Travail sur le rendu des cieux. « Je me fixe une limite dans ce process. » me précisera-t-il.

Le noir et blanc ?  « Pour la rigueur, pour me former. J’ai fait un peu de couleur, mais le noir et blanc m’oblige dans le cadrage. Je referai et je refais de la couleur. ».

Détail étrange puisque ces prises de vue sont faites en couleur, et ensuite transcodées en niveau de gris.

Après le déjeuner il a un rendez-vous pour une interview. Ça le stresse, car il a le trac pour la soirée où il doit monter sur la scène du « Campo Santo » pour recevoir le chèque. Je lui dis que ça va être un virement. Il rigole.

Le « Campo Santo » salut le jeune romain.

Le soir même, au « Campo Santo », Jean-Paul Alduy lui remet officiellement le prix du jeune reporter 2009 de la Ville de Perpignan, introduit par Jean-François Leroy avec ces mots : « Le travail de Massimo m’a bluffé et la révolte des avocats pakistanais m’a passionné…/… Le travail de Massimo est un exemple de ce qu’à Visa on souhaite montrer. »

Et l’on enchaine sur une projection d’un autre reportage de Massimo Berruti : « Combat de chiens au Pakistan lors de la Fête Nationale. » C’était le beau vendredi de Massimo Berruti, longuement ovationné par un groupe sympathique de tifosi italiens en week-end.

Dégâts co-latéraux.

Lundi 7 septembre, le temps se gâte. Je ne sais pas quel temps il faisait à Perpignan ou à Rome – moi j’étais rentré à Issy -, mais il eut un coup de tonnerre dans la mare du photojournalisme. « Le Monde » titrait un article de Claire Guillot : « La théorie du complot s’invite à Visa pour l’image ».
Que dit notre consoeur ?

« Massimo Berruti, 29 ans, est un photographe plein de promesses. ../… Les images, avec leurs noirs très denses, sont léchées et maîtrisées. Le photographe s’est penché sur la société pakistanaise, montrant le mouvement des magistrats, mais aussi des partis politiques, des prisonniers, des habitants.

Pourtant, dans le texte d’introduction, quelque chose cloche. Revenant sur les attaques terroristes qui frappent le pays, Massimo Berruti écrit : « Le général Hamid Gul, anciennement à la tête des services secrets pakistanais, a récemment déclaré sur CNN que les attentats du 11 Septembre avaient clairement été un travail «fait de l’intérieur», conçu et fomenté aux Etats-Unis, du moins avec le soutien des services secrets et de l’armée de l’air américains. » Et il affirme : « Dans cette guerre, rien n’est plus sûr, si ce n’est que la vérité est bien absente des déclarations officielles. »

Et ma consoeur d’insister…

« Plus surprenant encore que le texte de l’exposition, la conférence de presse consacrée à Massimo Berruti n’abordera jamais le sujet. Ni l’animatrice du débat, Claire Baudéan, ni le public ni le maire de Perpignan, Jean-Paul Alduy, pourtant visiblement passionné par le sujet, ne lui poseront de question sur le 11 Septembre. A croire que personne n’a lu le texte. »

J’avoue qu’en lisant cet article, je me suis demandé si Claire Guillot l’a bien lu ce fameux texte. Comme je n’en doute pas, je ne comprends pas. Car il est bien écrit que Massimo Berruti rapporte des propos « récemment déclarés sur CNN » et pas nécessairement une position personnelle précise sur le 11 septembre. D’ailleurs aucun autres journalistes qui assistaient à la conférence ne semble s’être ému, pas plus que les autres confrères qui l’ont interviewé. Mais l’erreur est compréhensible, Massimo Berruti parle mal les langues utilisées par Claire Guillot, et inversement. Lui est jeune, un peu insouciant, mais a aussi un esprit qui doute, un regard critique sur le monde et sur les idées communément partagées. On en attend pas moins d’un jeune photojournaliste.

Quand il déclare le vendredi 4 septembre au Midi Libre «On accuse aujourd’hui le Pakistan de tous les maux : ex bête noire du gouvernement Bush, le voilà maintenant pointé du doigt par l’administration Obama ! »…/… »L’escalade de la violence n’a fait qu’empirer les choses. Mais quel sera l’impact sur les autres nations d’un pays, rappelons-le détenteur de l’arme nucléaire, en proie à l’insécurité et à la déstabilisation et qui plus est « diabolisé » par les Etats-Unis ? Nul ne peut le dire, mais, à mon avis, le pire est à craindre d’une bête blessée… » », le Midi Libre titre : « « Le Pakistan, miné par la propagande, et qui souffre tant » et rien sur un présumé « complot ».

L’article du quotidien Le Monde fut, à mon avis, un simple malentendu épicé d’un zeste de sensationnel dans la façon de titrer, et – peut-être- d’une once de désir de coller à l’actualité en entrant dans le texte un mot-clé comme « 11 septembre ». Audimat quand tu nous tiens !

L’affaire a donné lieu à l’expédition d’une « lettre au Monde » – genre littéraire incontournable en France – publiée le 12 septembre 2009 à la demande du directeur du festival « Visa pour l’image – Perpignan », Jean-François Leroy.

« Le jury du Prix du jeune reporter de la Ville de Perpignan, qui était composé de plus d’une trentaine de directeurs de la photo reconnus, a fait son choix sur des photos, pas sur des propos. Et ce jury, dans lequel l’équipe de Visa pour l’image n’est pas représentée, a estimé que le travail de Massimo Berruti méritait d’être primé» et précision : « Visa pour l’image ne peut pas être réduit ou assimilé à des propos tenus par un photographe qui exprime une opinion. ». Leroy tient à le rester chez lui. Non mais !

« Mais quel abus de ces médias qui lynchent une ombre ! ».

Quand à Xavier Soule, le « patron » de la galerie et de l’agence VU’, le voilà qui philosophe « médialogie » dans son billet « Photojournalisme et médiavores » dans le Club Mediapart « Ce sont de jeunes photojournalistes qui vont chercher à voir ce que le regard désuet des photophones ignore. Sans doute au-delà des technologies d’assistance, savent-ils la lumière et les noirs, le cadre et la peau qui font parler l’image, mais avant tout, au moins deux éléments fondamentaux caractérisent leur travail : l’initiative et la certification. L’engagement à la rencontre des faits est une position radicalement différente de celle de la spontanéité du témoin opportuniste de l’événement » et « Massimo Berruti est l’un de ces photojournalistes engageant sa responsabilité sur les images qu’il va quérir pour rendre compte. »

Bien. Et Xavier Soule de s’emporter : « Mais quel abus de ces médias qui lynchent une ombre ! ». On croit comprendre que c’est l’article du Monde qui est un complot contre les ombres… Et la lumière ? « L’initiative intelligente de Claire Guillot qui s’interroge dans les colonnes du Monde sur la pertinence d’un texte desservant une photo, se trouve dénaturée par la triste désuétude de quelques voix audiencivores capables d’avancer n’importe quelle avanie. Non Massimo Berruti n’est pas un conspirationniste qui se fait de l’argent en prônant des thèses imbéciles. ».

Morale de l’histoire : Il faut protéger ses clients, comme ses sources.
Les lecteurs me pardonneront ce billet surfant sur l’onde d’un caillou jeté dans la mare aux canards : il me donne l’occasion de montrer quelques images de plus de ce « Visa pour l’image ». Un Visa 2009, si riche, que je n’ai pas fini de vous en rendre compte.

Michel Puech
Issy-les-Moulineaux le 16 septembre 2009Dernière révision le 29 mars 2024 à 4;11 par Michel Puech